Coup de théâtre : le projet de rénovation du quartier Noailles attendra le prochain mandat
Mercredi soir, la Soléam, la Ville et la métropole organisaient une unique réunion consacrée au projet de rénovation du quartier Noailles. Au-delà du théâtre de la concertation, le projet imaginé par l’équipe en charge du plan-guide est surtout remis à plus tard.
Au théâtre Mazenod ce mercredi soir, nouvelle représentation d’une pièce qui a déjà beaucoup tourné. Le projet urbain du quartier Noailles, ventre de Marseille populaire et oublié, est dans les tuyaux depuis plusieurs années. Avec cette réunion, il arrive enfin en phase de concertation, pensée ici dans sa forme minimale. Une exposition avec panneaux explicatifs et registre de remarques dure jusqu’au 23 février à la direction de l’aménagement et de l’habitat de la Ville, rue Fauchier. La version théâtrale du soir distribue dans les principaux rôles, une brochette d’élus, un bataillon de techniciens et 200 citoyens, plus ou moins habitants du quartier.
Il y a de la tension dans l’air. La Plaine n’est pas loin. En 2015, les réunions publiques autour du projet de rénovation de la place ont rapidement tourné à l’opéra-bouffe (lire notre article). La concertation y dépasse à peine le minimum légal et les travaux prévus continuent de susciter l’hostilité d’une partie de la population. Certains habitants du plateau sont donc venus en voisins. “Nous sommes bien blancs”, interpelle l’une d’entre elles en début de débat, entraînant applaudissements et huées.
“ILS REGARDENT LA TÉLÉ, À LA MAISON”
À un autre participant qui s’étonne de ne pas voir les habitants de Noailles dans leur diversité, le président de la Soleam rétorque, goguenard : “Ils regardent la télé à la maison !”. Comme si, là encore, les élus locaux se satisfaisaient d’une concertation limitée à une exposition, située à plusieurs kilomètres du quartier et à une seule réunion de deux heures, organisée par Artkom, l’agence de communication en charge de la concertation.
Pourtant, au départ, le projet Noailles a été pensé différemment. En 2014 et 2015, l’équipe (OTH et Cerfise) en charge de l’étude urbaine multi-thématique a mené une démarche participative en associant habitants du quartier, associations et commerçants (lire notre série “Vivre à Noailles”). Remis quelques mois plus tard aux élus, le plan-guide est resté coincé dans les tuyaux politiques municipaux et métropolitains deux longues années. Ce qu’il en reste est donc présenté aux spectateurs du théâtre Mazenod notamment dans sa partie diagnostic. Une simple visite des lieux en baguenaudant donne une idée précise des priorités d’action que souligne l’équipe de chercheurs : le quartier est dense (75 % d’espace bâti), les espaces publics rares (20 %) et les cœurs d’îlots très encombrés (5 % d’espace privé non bâti).
Le peu d’espace public est saturé de voitures “alors que 60 % des ménages ne possèdent pas de véhicules”. Les rues et places sont l’objet d’un conflit d’usage entre habitants et commerçants, et dans un état de saleté qui fait considérer le quartier comme le principal point noir du centre-ville.
“48 % D’IMMEUBLES INDÉCENTS OU DÉGRADÉS”
Quant à l’état des immeubles, il est aussi bien connu. Le quartier est l’objet d’opération de requalification depuis 20 ans, notamment dans le cadre d’un périmètre de restauration immobilière aux résultats controversés. Le bilan qu’en tire le plan-guide tient en deux chiffres : “48 % des immeubles sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé. Seulement 11 % sont identifiés comme en bon état structurel et d’entretien”.
Face à cette situation, les auteurs du plan-guide ont détaillé de nombreux volets d’actions à la fois sur la piétonnisation du quartier, une gestion urbaine de proximité renouvelée et un traitement du bâti, îlot par îlot en associant les habitants et en jouant des outils coercitifs et incitatifs pour les rendre décents.
“LA PIÉTONNISATION SUSPENDUE À UNE ÉTUDE RENDUE EN 2019”
Bien malin qui pouvait deviner ce mercredi soir, ce qui restera des préconisations dans le projet mis en œuvre. Ainsi sur la piétonnisation, “la proposition doit s’intégrer dans une logique à l’échelle du centre-ville” et est donc suspendue à une étude globale que la métropole vient de lancer. La mise en œuvre de voies piétonnes, bloquées par des bornes à gestion automatiques, attendra donc 2019. En attendant une nouvelle trame circulatoire va être rapidement mise en œuvre en permettant aux voitures de remonter la rue d’Aubagne depuis la rue Vacon, afin de rejoindre rue Rouvière.
Du fond de la salle, Cyril Pimentel du collectif Vélos en ville s’exclame : “Entrez dans le XXIe siècle ! Montpellier a piétonnisé l’ensemble de son centre-ville, et nous en sommes à rendre piétonnes des rues avec des bornes. On sait comment ça marche, cela sera piéton entre 14 h et 15 h”. La maire de secteur, Sabine Bernasconi (LR), promet que “l’ambition est de piétonniser le centre-ville dans son ensemble. Mais nous avons des soucis de passage des bus notamment sur la Canebière qui doit être l’épine dorsale de ce centre-ville apaisé”.
L’élue évoque aussi des moyens de livraison plus doux en vélo notamment mais tout ceci est encore suspendu à la livraison de l’étude métropolitaine et à la réalité de sa mise en œuvre. Entre temps, la mise en plateau des rues va se poursuivre “ce qui correspond à de la semi-piétonnisation, à un partage de la voie publique où la vitesse est limitée à 20 km/h et les piétons prioritaires sur les voitures”, note l’élue. Le public gronde. “Les rues partagées, c’est la liberté de se faire écraser”, glisse une dame à mi-voix.
UNE ÉTUDE SUR L’HABITAT RENDUE DANS DEUX ANS
Côté habitat, le projet présenté est lui aussi mis en délai. En effet, une grande partie du centre-ville est suspendue aux résultats d’une étude pré-opérationnelle pilotée par la métropole dans le cadre du nouveau programme national de rénovation urbaine. Celle-ci doit durer deux ans et “permettre la définition d’un programme précis d’intervention avec calendrier”. Pour l’heure, quatre immeubles dégradés et vacants ont été identifiés “avec pour objectif la production de logements”.
Au nom de l’association Un centre-ville pour tous qui a diffusé une série de six questions en début de réunion, Patrick Lacoste interpelle les élus : “Vous dites vouloir rendre Marseille attractive mais la ville a perdu des habitants depuis 23 ans. Doit-elle être attractive pour les touristes ou pour les habitants tels qu’ils sont ? Quand est-ce que les travaux vont commencer ? Dans ce mandat ou dans le prochain ?”
“AGIR À LA PETITE CUILLÈRE”
Ces questions ne recevront pas de réponses précises. Le technicien envoyé au front, fait une réponse… de technicien : “Agir dans le bâti privé, cela se fait à la petite cuillère. La production d’un logement social à partir d’un logement privé, cela suppose 50 000 euros de déficit. Il faut donc trouver des subventions de l’ANRU et ou de l’ANAH. On agit lentement, trop lentement.”
De fait, le projet Noailles est suspendu au nouveau tempo du nouveau programme de rénovation urbaine qui impose de réaliser un protocole de préfiguration pour chaque projet. Il est également suspendu à la recherche de financements à la fois des collectivités locales et de l’État.
Au final, ne subsistent du projet Noailles tel qu’annoncé que des projets déjà actés : un centre social attendu pour 2021 au mieux, au domaine Ventre, un local jeunes, au 44 de la rue d’Aubagne et une “micro-crèche de dix berceaux” dans la même rue. La nouvelle donne imaginée pour la gestion urbaine de proximité avec disparition des bennes à ordures, ouverture de locaux à poubelles en pied d’immeubles avec des dispositifs inédits de recyclage notamment de bio-déchets, tout ceci est remis à un travail “collaboratif” à l’issue non datée. Même chose pour les sites de livraison partagés, directement gérés par les commerçants, une autre innovation préconisée par le plan-guide.
Au final, la présentation comme la discussion laissent un goût d’inachevé. La question de l’école absente du quartier, maintes fois rappelée par les habitants, n’a reçu aucune réponse. Les échanges proprement dits en sont restés aux figures convenues : “Soupçon de gentrification” d’un côté, “garder l’âme du quartier” de l’autre. Et, au milieu, l’absence manifeste de volonté d’associer les habitants à la prise de décision.
Ci-dessous, l’intégralité du support visuel à la concertation :