Monsieur le Maire,
Voilà donc près de trois ans que la concertation municipale partit, par un temps de novembre sans doute semblable à celui-ci, pour être parachutée sur la terre de La Plaine, et devenir un simulacre de dialogue au service de la société d’aménagement de Marseille, la sinistre et corrompue Soléam. Sans cette cérémonie, combien d’enfants de la cité phocéenne sauraient qu’elle a eu lieu ? Aujourd’hui elle est morte, sans espoir de résurrection, et c’est un mur, protégée par une garde noire, qui se dresse, à sa place, sur la place Jean-Jaurès.
Après trois ans, la concertation municipale est devenue un monde de limbes où la légende se mêle à l’intoxication. Voici comment je l’ai rencontrée. Sur la plus grande place de Marseille, la mairie avait décidé de rayer de la carte le quartier populaire de La Plaine. Il est d’usage dans ce type de projet qu’une concertation soit organisée afin de recueillir les avis de chacun quant à la forme prise par le futur aménagement. Hélas, quand les participants aux ateliers se retirèrent de ces lieux, alors même que la nuit glaciale recouvrait tout de son épais manteau noir, ils entendirent les élus municipaux leur dire que seules les améliorations allant dans le sens des invariants prédéfinis par la mairie seraient retenues. Ce sentiment de trahison, sans lequel la Résistance n’eût jamais existé — et qui nous réunit aujourd’hui — c’est peut-être simplement l’accent invincible de la fraternité face aux mensonges du pouvoir.
Comment organiser cette fraternité pour en faire un combat ? Lorsque début novembre 2015, la concertation municipale fut parachutée sur la Plaine, la Résistance n’était encore qu’un désordre de courage : une presse à la diffusion quasi clandestine, des panneaux d’informations, une conspiration pour rassembler des troupes qui n’existaient pas encore. Mais, très vite, une fois le simulacre de dialogue achevé, ce sont les habitants et les habitués du quartier qui prirent sur eux de faire vivre une véritable concertation. Les débats publics succédaient aux présentations des grandes étapes du projet de requalification. Et le combat n’était jamais vraiment gagné. Comment rendre sa fougue et sa dignité à un peuple parfois résigné à son triste sort et l’amener à rejoindre la lutte contre toutes les turpitudes qui se dissimulaient derrière ce terme de requalification ? Expulsion du centre-ville des habitants les plus pauvres et opérations de spéculation à grande échelle formaient le quotidien des Marseillais depuis la brutale et ratée rénovation de la rue de la République.
Inépuisablement, la concertation populaire a montré aux Marseillais, attachés à ce quartier, le danger qu’entraînerait le dépeçage de la place Jean-Jaurès. Chaque événement capital — reniement des promesses de la Soléam quant au phasage du chantier et au maintien du marché ; grande manifestation contre l’abattage des arbres — a renforcé sa position. À partir de ce moment, il était évident que la Plaine allait devenir un théâtre d’opérations policières. La Résistance sait qu’elle ne délivrera pas la Plaine sans le soutien des autres associations de Marseille et d’ailleurs. Elle a peu à peu appris que s’il est relativement facile de faire sauter une clôture, il n’est pas moins facile de la réparer. Alors que s’il est facile à la Résistance de faire sauter deux cents clôtures, il est difficile à la municipalité de les réparer à la fois. En un mot, elle sait qu’une action efficace est inséparable d’un plan d’ensemble, conçu et exécuté grâce à l’unité de la Résistance. C’est ce à quoi la concertation populaire s’emploie jour après jour, mur après mur, une association ou un collectif après l’autre. On est là !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
La Résistance grandit, les réfractaires ont bientôt empli la place ; la répression grandit aussi ; la police est partout. C’est le temps où, dans la brume matinale, nous interrogeons les aboiements des chiens qui se sont glissés entre les parois de béton ; le temps où se multiplient les caisses de solidarité envers les inculpés et les blessés… La grande lutte des ténèbres a commencé. Les buts de la Plaine libre sont clairs : Conduire la lutte ; rendre la parole au peuple marseillais ; travailler avec les autres associations à un projet d’aménagement respectueux de la diversité du quartier.
Entre ici, concertation municipale, avec ton terrible cortège. Avec tous les mensonges et toutes les calomnies de la Soléam. Avec toutes les violences policières et autres arrestations arbitraires. Avec les geôles sordides des commissariats dans lesquels nos frères et sœurs dans l’ordre de la Nuit ont été jetés.
Écoute ce soir, concertation municipale, le tocsin funèbre de l’Assemblée de la Plaine. Puisses-tu, cette fois, l’entendre : il va sonner pour toi .
L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Touchez pas à La Plaine que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans chaque cortège de manifestation ou chaque défilé de carnaval.
Écoute aujourd’hui le peuple marseillais et ce qui est pour nous la marche funèbre des cendres que voici.
Avec le fraternel concours d’André Malraux
photo : Patxi Beltzaiz